Bureau de Demain : Interview avec Flore Pradère

Chez CYD, nous avons souhaité traduire le Bureau de Demain en une phrase clé : "passer du mètre carré au mètre rêvé”, qu'est-ce que cela vous évoque ?

Flore Pradère : “Ce qui est intéressant dans cette phrase c'est de voir le potentiel qui est caché derrière le mètre carré que l’on évoque. Cela fait écho à une approche que nous avons chez JLL : il ne faut pas voir l’environnement de travail comme un coût à réduire mais plutôt comme un investissement pour l'avenir. Comment rendre cet investissement le plus pertinent possible et créer des mètres carré créateurs de valeur ?
Nous avons beaucoup été interrogés sur la réduction des mètres carrés pendant la crise et nous avons souvent répondu que l’avenir serait à : moins de mètres carré mais mieux de mètres carré."

Pensez vous qu'il y'a une révolution servicielle aujourd'hui sur les sujets du bien-être en entreprise ? Y a-t-il un décalage entre les nouveaux besoins des occupants et l'offre de services actuelle ?

Flore Pradère : “Je pense qu'il y a une révolution dans les attentes des collaborateurs. Ces nouvelles exigences bouleversent la question de la responsabilité de l'employeur : où cette responsabilité démarre-t-elle et où se termine-t-elle ? Ce qui est en question désormais c’est l’ensemble de l'expérience proposée au collaborateur : au travers des espaces, des services et plus généralement à travers la proposition de valeur faite aux salariés.
Sur tous ces sujets, les attentes sont actuellement très fortes et les entreprises commencent enfin à entendre cet appel. Elles ne sont pas encore toutes prêtes et à maturité, mais beaucoup cheminent sur cette voie.”

Quelles sont selon vous les grandes problématiques auxquelles le Bureau fait face aujourd'hui ?

Flore Pradère : “On parle tous du travail hybride mais la grande question finalement c'est de créer un modèle hybride pérenne et vertueux sur le long terme. Demain on panachera à l’envie le travail à distance - depuis la maison, des tiers-lieux - et au bureau. Tout cela créé des opportunités mais aussi des risques. Certaines personnes ont pu se sentir socialement isolées en télétravail, d'autres ont eu du mal à rester connectées à l'entreprise. L'enjeu avec ce nouveau mode d’organisation hybride, c'est donc de bâtir un modèle à impact positif, qui créé de la valeur à la fois pour l'employé et pour l'entreprise ; un modèle qui, au lieu d'épuiser les gens, leur permette de s'emparer pleinement des opportunités qui leur sont offertes en matière de flexibilité et de qualité de vie, tout en conservant cette dynamique collective qui fait vibrer le travail au bureau.”

Auriez-vous quelques pistes de réflexion si ce n'est même des solutions pour accompagner la transformation que connait aujourd'hui le Bureau ?

Flore Pradère : “Nous venons de publier une étude sur laquelle j'ai travaillé pendant neuf mois sur le concept du "Bureau Régénérant" et je pense que c'est une piste pour réenvisager le Bureau. Le travail aujourd’hui peut être très épanouissant mais également épuisant, voire destructeur. Comment pouvons-nous inverser la donne et créer un monde du travail où on viendrait au bureau pour s'imprégner de l'énergie du collectif et duquel on reviendrait reboostés à bloc ? Proposer ce bureau régénérant permettrait au travailleur hybride de préserver le sens de son travail, de rester aligné avec l’objectif de son entreprise, de se sentir appartenir à un collectif,  même lorsqu’il est à distance. C'est précisément ça la nouvelle raison d’être du bureau ! D'où l'idée d’un bureau réparateur et réénergisant, dont vous pourrez vous emparer afin de donner le meilleur de vous-même. Le bureau aujourd’hui est devenu bien plus qu'un lieu de travail : c'est devenu un lieu-ressource qui donne du sens à nos moments de travail distant.”

Le bien-être mental ferait-il partie du Bureau Régénérant ?

Flore Pradère : “Oui, absolument ! Dans mon étude sur le bureau régénérant, j'ai travaillé avec un anthropologue aux Etats-Unis et nous nous sommes intéressés à la notion de résilience : qu'est-ce qui fait la résilience des personnes dans des périodes aussi chahutées que celle que nous connaissons aujourd’hui  ? Nous avons identifié trois piliers fondamentaux du bien-être : le bien-être mental, social et physique. Nous avons pu observer à quel point ces trois piliers étaient connectés. Travailler sur le bien-être physique va avoir un effet sur le bien-être mental et réciproquement. Tout l’enjeu est donc d’appréhender ces trois piliers de façon holistique, de façon à ce que les employés se sentent armés pour faire face à la transformation que l'on connaît aujourd'hui.”

Qu'en est-il de la Responsabilité Sociétale des Entreprises pour l'engagement des collaborateurs ?

Flore Pradère : “La RSE est une notion fondamentale, c'est un grand thème de notre recherche. Nous avons démarré il y a deux ans le programme "Responsible Real Estate" afin de brosser les contours de l'immobilier responsable attendu demain. Au sein de cet immobilier responsable, une première partie est liée au bureau bas carbone et vise à bâtir un immobilier respectueux de l'environnement et des ressources de la planète. Le second volet sur lequel nous travaillons aujourd’hui, au-delà des aspects environnementaux, c'est le volet sociétal. De quelle façon un immeuble de bureau peut-il impacter positivement ses parties prenantes et la société au sens large ? Je pense que l'on est vraiment à l'heure de la responsabilité. Sur tous ces sujets, les talents d’aujourd’hui attendent une conduite exemplaire de la part de leur employeur qui n’a d’autre choix que d’adopter une ligne forte, engagée et transparente. Nous ne sommes plus à l'heure des paroles et des déclarations d'intention. Il y a une vraie attente du côté des collaborateurs, il faut maintenant faire et montrer que l'on agit.”

Pour finir, en un mot, le Bureau de Demain pour vous c'est quoi ?

Flore Pradère : “Le bureau de demain sera "régénérant" ou ne sera pas. Derrière cette formule un brin provocatrice, il y a une logique gagnant-gagnant. Nous ne sommes plus dans un monde du travail dominant/dominé, manager/managé, employeur/employé : nous sommes presque dans une relation d’égal à égal désormais. Le bureau de demain nous permettra d'être plus aligné avec ce qui est important pour nous. Il nous synchronisera avec le collectif, il nous inspirera : ce sera définitivement un lieu ressource, mis à la disposition des collaborateurs.”

Souhaitez-vous ajouter un dernier mot à notre interview ?

Flore Pradère : “Dans cette période de transformation intense des priorités de vie et de travail, je pense que les employeurs doivent comprendre qu’il n'y aura plus de retour en arrière possible. Les directions d’entreprises doivent se saisir de cette opportunité qui leur est offerte de changer la donne, le modèle de société, les modes de travail, la conception du travail. Nous vivons une période très enthousiasmante, il ne faut pas voir ces nouvelles aspirations comme une menace. Au contraire, il faut se dire qu'il y a tout à inventer et qu'il faut désormais coconstruire ce Bureau main dans la main avec les salariés.”